"LE TEST ELECTORAL" |
Le 18 décembre dernier, le Conseil d’Etat saisi par une requête d’un petit parti nationaliste ( UPC ) , annule le scrutin corse de mars 1998. Il invoque une succession d’irrégularités mais ne prononce pas le mot “ fraude ” . Pourtant à la lecture du délibéré, on peut constater, à titre d’exemple que :
- dans de nombreuses communes,
une même signature émarge pour une trentaine de personnes
différentes.
- des centaines d’émargements
différents pour un électeur entre le 1er tour et le 2ème
tour.
- un maire a inventé
le tampon émargeur “ l’électeur ne peut signer lui-même
” .
- des électeurs signent
illégalement avec une croix.
- des fausses procurations
et des électeurs fantômes gonflent des listes.
Ci-dessus image de vote au bureau
de vote de Bastia.
Monsieur Jean-Jacques Queyranne
( remplaçant par intérim de Monsieur Chevènement )
, Monsieur Jean Baggioni ( RPR, président du Conseil Exécutif
de la Corse 1998 ) et son éternel rival, Monsieur le Ministre de
la Fonction Publique Emile Zuccarelli ( MRG ) avaient déposé
un mémoire commun afin de confirmer le scrutin précédent.
En fait, cette annulation
a été un véritable réquisitoire contre la classe
politique corse.
Un
an après l’assassinat du Préfet de Corse, Claude Erignac
et, à partir de ce retour aux urnes, nous avons décidé
de suivre les nouvelles élections territoriales dans leur ensemble.
Un tel sujet prend encore plus de sens lorsqu’on connaît les futures
dérives de la préfecture de région. Le thème
de ce scrutin a été essentiellement : la politique d’état
de droit en Corse.
Ci-contre, image du dépouillement
du premier tour à Olmi Capella, Balagne.
En prévision de l’armada d’envoyés spéciaux dépêchés sur les lieux, nous avons opté pour un documentaire illustré uniquement par du son ( pas de commentaire ) . Notre implantation de proximité nous a permis d’installer un micro HF sur les cinq principales têtes de liste. L’intérêt d’un tel procédé, c’est que les hommes politiques ont oublié la présence de la caméra et du micro. De plus, la qualité technique d’enregistrement s’est avérée être très correcte.
Lors de la campagne du 1er tour, nous avons suivi :
1) : Jean-Guy Talamoni, tête de liste de Corsica Nazione
Vitrine légale du FLNC-Canal
Historique, Corsica Nazione rassemble en son sein la branche dure du nationalisme
corse. Cette formation politique, seule force nationaliste présente
à l’assemblée de Corse 1998 ( 5 élus ) , revendique
l’indépendance de l’île. Depuis la tragédie de février
1998, les militants de ce parti étaient combattus avec force par
le Préfet de Corse, Bernard Bonnet.
Bien qu’interlocuteurs privilégiés
des précédents gouvernements “ Balladur et Juppé ”
( voir la conférence de presse 1996-Tralonca ) , les dirigeants
de cette mouvance ne négocient plus.
Les thèmes principaux
de leur campagne sont : la résistance armée à
l’Etat français et à ses élus dits “ collaborateurs
” , l’indépendance, la reconnaissance du peuple corse, etc…
Au 1er tour, Corsica Nazione,
en compétition avec quatre autres partis nationalistes, sera le
seul à passer la barre mythique des 5% ( 10,23% sur les 23% des
votes nationalistes) .
Ci-contre,
vote du premier tour à Bastia, Jean-Guy Talamoni
Nous avons suivi Jean-Guy
Talamoni dans deux fiefs historiques du nationalisme corse, la plaine agricole
d’Aléria et la cité défavorisée de Bastia,
Lupino ( rencontres avec la population, réunion et meeting électoral
) .
2) : François Alfonsi, tête de liste de l’Union du peuple Corse ( UPC )
En 1975, suite aux événements
tragiques de la cave d’Aléria, l’UPC est crée par le docteur
Edmond Siméoni. Il devient ainsi le premier parti nationaliste corse
et revendique un statut d’autonomie. Par
la suite, la clandestinité fera apparaître de nombreuses scissions
au sein de l’UPC. Proche des idées de gauche, cette formation a
toujours condamné la violence armée. Elle considère
que l’autonomie doit se concrétiser et faire l’objet d’un dialogue
démocratique avec l’Etat français.
Au 1er tour du scrutin 1998,
l’UPC sera éliminé pour seulement quarante suffrages ( 4,93%
). Défenseur d’un nationalisme démocrate, l’UPC obtiendra,
à la surprise générale, l’annulation du scrutin territorial.
Ironie du sort et conséquence de la division entre nationalistes,
l’UPC ne passera pas la barre des 5% ( 3,83% sur les 13% des quatre listes
nationalistes démocrates ). Ci-contre
François Alfonsi ( UPC ), meeting de Furiani.
Nous avons suivi François
Alfonsi :
au contact de la population
rurale dans la région montagneuse du Niolo.
lors de la défense
d’un projet d’entreprise, à Barchetta.
En meeting, à
Furiani.
3) : Jean Baggioni, tête de liste de la droite UDF-RPR
La droite insulaire emmenée
par le clan Rocca Serra a été aux affaires corses pendant
une bonne cinquantaine d’années. Au 1er tour de la dernière
élection présidentielle, la Corse a offert massivement 54%
de ses suffrages à Jacques Chirac. L’année dernière,
suite à une longue maladie, le clan perdait son propre chef, Jean-Paul
de Rocca Serra.
C’est
Jean Baggioni, président de l’Exécutif depuis
le statut Joxe de 1991, qui va prendre la succession. Ci-contre
Jean Baggioni à la rencontre du monde rural.
Homme de terrain, il sait
profiter de ses liens affectifs avec la population. En échange des
services rendus, il sait que les corses ont toujours voté pour la
personnalité du candidat et rarement pour ses idées politiques.
En un an, en s’alliant à l’homme fort du sud, José Rossi,
Jean Baggioni aura réconcilié une petite partie de la droite
insulaire. Il condamne le rapport Glavany et s’oppose à la politique
“ d’état de droit ” engagée par le gouvernement Jospin et
le préfet Bonnet.
Dès l’ouverture de
la campagne officielle, le magazine “ Le Point ” publiera une note d’alerte
réalisée par l’un des services de sécurité
du Ministère de la Défense ( la DPSD ) . Bien qu’aucune preuve
n'ait été avancée, cette fuite semble provenir de
la préfecture de région.
Jean Baggioni est nommé
implicitement comme un détenteur d’informations sur les circonstances
de l’assassinat du Préfet Erignac . Son discours de campagne sur
l’état de droit est souvent proche de celui des nationalistes.
Au soir du 1er tour la liste
UDF-RPR obtient 24% des suffrages exprimés.
A la suite des accusations du Point, nous étions présents lors de la conférence de presse de Jean Baggioni. Nous avons tourné ses déplacements en zone rurale. Ces suivis nous ont permis de constater que le clanisme et les petits arrangements personnels, pratiques d’un autre âge, sont toujours de mises dans ces micro-régions. A Bastia, nous avons filmé le meeting de clôture du 1er tour.
4) : Emile Zuccarelli, tête de liste de la gauche plurielle
Bien qu’absente de la présidence
de la région, la gauche a toujours été implantée
à Bastia et dans les zones rurales du centre de la Corse. Elle a
eut ses chefs de clan Jean Zuccarelli et François Giaccobi, tous
deux décédés récemment. Les deux enfants Emile
et Paul ont pris la succession de leurs pères. L’un est un habitué
des ministères parisiens, l’autre est proche de la population rurale.
Malgré
une sévère défaite lors des élections 1998,
Emile Zuccarelli reprend les rènes d’une gauche dite plurielle mais
fortement divisée. La personnalité très technocratique
du “ ministre candidat ” ne fait pas recette au sein des forces progressistes
de l’île. Pour cette nouvelle élection, Emile Zuccarelli véhicule
une image à la fois “ claniste ” et “ parisienne ” . Il doit incarner
la politique du gouvernement en Corse, la notion essentielle étant
le retour à l’état de droit. Pour le gouvernement Jospin
, ce scrutin électoral a une grande valeur de test.
Ci-contre Emile Zuccarelli à Ponte Leccia.
Emile Zuccarelli n’est pas
la tête de liste idéale mais la gauche plurielle limite les
dégâts, elle obtient 20,53% des suffrages exprimés.
Deux autres listes dissidentes réalisent un score commun de 13%.
Nous avons suivi Emile Zuccarelli lors de déplacements et réunions en milieu rural où il s’exprime quelquefois en langue corse.
5) : Philippe Ceccaldi, liste Corse nouvelle
Libéral mais opposé
à la droite traditionnelle insulaire, Philippe Ceccaldi essaye d’incarner
une image nouvelle de l’homme politique corse. Membre de la précédente
majorité territoriale avec Jean Baggioni, il a présidé
l’Office d’Environnement de la Corse. Mais au bout de quelques mois, il
revendique son indépendance politique et quitte l’union établie
avec les partis dits “ d’appareils ” .
Pour cette élection,
le candidat Ceccaldi s’est offert la présence de colistiers
proches du milieu des jeux et des affaires africaines ( cités dans
le rapport Glavany ) .
Son implantation dans la région
ajaccienne est importante car il y a créé la compagnie aérienne
Corse Méditerranée ( CCM ) . Pour ses détracteurs,
il s’agit d’un important gisement d’emplois qui lui assure de nombreux
suffrages. La droite et la gauche l’accusent ainsi de clientélisme
électoral.
Il mène campagne sur
le thème de la troisième voie en prônant une ouverture
avec les petites listes dites “ corsistes = très opposées
à la politique de Paris mais républicaines ” .
Au 1er tour, il obtient 8,5%.
Nous
avons suivi Philippe Ceccaldi au contact de la population ajaccienne, en
réunion à Cargèse et en meeting à Bastia.
Ci-contre Philippe Ceccaldi à Ajaccio.
Afin d’éviter le phénomène
“ cliché corse ” observé dans la plupart des reportages réalisés
par les rédactions nationales, nous avons fait parlé la population
dans différents contextes.
Le matin du 1er tour, nous
sommes allés tourner dans un bureau de vote de Bastia et l’après-midi,
à Olmi Capella, village de la Corse profonde ( haute Balagne ) .
Le soir, ses habitants analysent les résultats. On y parle de clanisme,
de fraude électorale, de violence politique et de nombreux problèmes
liés au milieu rural et à l’insularité.
Tard dans la soirée,
nous rejoignons à Bastia la surprise du scrutin, Jean Guy Talamoni.
Il participe à une fête très animée avec les
militants de sa liste Corsica Nazione ( réactions du candidat )
.
Entre les deux tours, nous avons suivi :
1)
: Jean Baggioni à Ajaccio.
Passage à la présidence
de l’Exécutif de l’assemblée territoriale puis réunion
houleuse dans sa permanence avec ses colistiers. Enfin rencontre avec la
population locale.
2) : Interviews bruts de deux dissidents de droite qui s’opposent à une fusion des listes libérales………Philippe Ceccaldi et Jean-Louis Albertini.
3)
: Emile Zuccarelli à Bastia.
Conférence de presse
et meeting de clôture.
4) : Interviews bruts de deux dissidents de gauche qui s’opposent à une fusion commune avec la liste Zuccarelli………..Toussaint Luciani et Simon Renucci.
5)
: Jean Guy Talamoni à Ajaccio.
Lors de son ultime meeting
de clôture, il dédicace sa victoire aux militants du FLNC.
Ensuite, il calque son discours
sur l’union de toutes les forces nationalistes au 2ème tour.
Au soir des résultats du 2ème tour, nous étions :
1)
: avec Jean Baggioni, dans son fief électoral ( Ville
di Petrabugno ) .
Il déclare grand vainqueur
du scrutin, la liste Corsica Nazione.
Fautif : “ le gouvernement
et sa politique de retour à l’état de droit ” .
2)
: avec Emile Zuccarelli, dans sa permanence.
Abattu par le score des nationalistes,
il réitère son soutien à la politique du gouvernement.
Il déclare : “nous
sommes là au milieu du guet ” .
3)
: avec Jean-Guy Talamoni, dans sa permanence.
Au milieu des militants indépendantistes,
il réagit à son score et aux surprenantes déclarations
du Préfet Bernard Bonnet.
Au 3ème tour, à l’Assemblée territoriale, nous étions présents pour l’élection de Jean Baggioni et José Rossi ( élus à la majorité relative de 21 sièges pour un total de 51 ) .
-
A gauche,
vote du 3ème tour, Emile Zuccarelli. A droite José Rossi
et Jean Baggioni, vainqueurs du scrutin
En guise de conclusion, et
ceci quelques jours après le scrutin, trois faits majeurs toucheront
les insulaires:
- le rejet du budget
1999.
- la droite votera l’élection
du leader de Corsica Nazione à la tête de la commission des
affaires européennes.
- la désastreuse
affaire de la paillote "Chez Francis" qui entraînera, pour la première
fois, l’incarcération d'un Préfet de la république.