M. le Président
: Merci pour la précision de cet exposé liminaire : ceux
qui vous ont déjà entendu par le passé reconnaîtront
là la clarté de vos propos. Dans cette description que vous
faites et qui porte sur une période assez longue, on s’aperçoit
que pratiquement tous les gouvernements sont concernés ! J’aimerais
néanmoins obtenir une précision parce que vous lancez une
accusation extrêmement dure en prétendant que la population
corse a été laissée sans protection par rapport à
l’état de violence. Comment l’entendez-vous et comment pourriez-vous
préciser vos propos à quelqu’un qui ne connaît pas
la Corse et qui
ne vit pas cette situation
comme vous le faites vous-même en tant qu’élu local ? C’est
dur de dire cela sur le territoire de la République !
M. Émile ZUCCARELLI
: C’est une donnée d’évidence.
M. Roger FRANZONI :
C’est exact !
M. Émile ZUCCARELLI
: Je ne veux pointer du doigt aucun des gouvernements...
M. Roger FRANZONI :
Ils sont tous responsables !
M. Émile ZUCCARELLI
: ... même si le Gouvernement qui a mené le dialogue que
je viens d’évoquer jusqu’à l’affaire de Tralonca doit évidemment
assumer les choix qu’il a faits à cette époque. Néanmoins,
le traitement bienveillant et la circonspection dans les poursuites de
la délinquance et de la criminalité partant d’intentions
à caractère politique remontent
certainement plus à
vingt ans, qu’à cinq ou dix ans. Or, il est tout de même significatif
qu’au cours de cette période où environ 10 000 attentats
et des centaines de crimes ont été commis, il n’y a eu élucidation
d’aucun crime et d’aucun assassinat, à une ou deux exceptions près.
C’est une réalité et le procureur Couturier disait : «
il faut être extrêmement circonspect parce que, peut-être,
dans certains cas, au bout de votre enquête sur une affaire de caractère
criminel, crapuleux, une affaire de trafic, de racket ou de meurtre, vous
risquez de trouver quelqu’un appartenant de manière notoire à
une organisation
nationaliste clandestine ou
légale ! ». Il s’agit tout de même d’une démarche
perverse. Or, cette circonspection a été alimentée
au fil des années. On a vu, en effet, des gouvernements – j’ai toujours
l’air de retomber sur le même – recevoir dans les palais nationaux
des gens appartenant notoirement à des organisations terroristes,
justifiant et glorifiant la violence, l’assassinat et l’attentat politique,
et qui venaient ensuite discourir sur le trottoir devant les caméras
de télévision en disant : « Nous avons eu avec le ministre
un entretien très franc et très productif ! ».
M. le Rapporteur :
Vous avez des exemples précis en tête ?
M. Émile ZUCCARELLI
: Oui, j’ai vu M. François Santoni être reçu et
discourir sur le trottoir de la place Beauvau...
M. le Rapporteur :
A quelle période ?
M. Émile ZUCCARELLI
: C’était durant la période 95-96, je n’ai plus les dates
précises en tête.
M. le Rapporteur :
C’était au journal télévisé ?
M. Émile ZUCCARELLI
: Absolument, au journal de vingt heures !
M. Franck DHERSIN :
Vous avez vu M. Santoni, place Beauvau ? Il serait intéressant d’avoir
les films.
M. Émile ZUCCARELLI
: Attendez, j’ai l’air de faire une révélation... Serais-je
le premier de vos interlocuteurs à vous dire cela ?
M. le Rapporteur :
Bien sûr que non !
M. Yves FROMION : C’était
une confirmation...
M. Émile ZUCCARELLI
: C’est plus qu’une confirmation.
M. le Rapporteur : Ce
n’est pas ce qu’a dit M. Jean-Louis Debré.
M. Émile ZUCCARELLI
:
Naturellement ! Maintenant M. Santoni était-il devant l’entrée
du ministère après être arrivé par une rue adjacente
? Je n’ai pas poussé les vérifications jusque là,
mais il était sur le trottoir de la place Beauvau et disait avoir
eu un entretien très franc.
Pour en revenir à votre
question, j’ai parlé tout à l’heure des effets dévastateurs
sur la population, mais il faut voir également les effets dévastateurs
sur les fonctionnaires, qu’ils soient de la police, de la gendarmerie ou
de la justice, qui ont en charge de réprimer le crime. Quelques
jours après l’affaire de Tralonca, le garde des sceaux de l’époque
est venu rencontrer les magistrats de l’île pour les mobiliser et
les journalistes présents lui ont demandé si une information
judiciaire avait été ouverte sur ce rassemblement : comme
il répondait qu’il l’ignorait, ils lui ont demandé s’il trouvait
normal qu’il n’y en ait pas, ce à quoi M. Toubon a rétorqué
: « il ne sera pas répondu à cette question ! ».
Je crois savoir que, quelque temps plus tard une information a été
diligentée, mais personne, en tout cas pas moi, n’en a jamais eu
le fin mot !
Je réponds donc ainsi
à votre question : quand on mesure le décalage qu’il peut
y avoir entre le dévouement, le zèle que l’on peut demander
aux fonctionnaires qui concourent au règne de la loi et certains
discours publics, on n’est pas surpris de certaines choses et notamment
du fait que pendant toute une période aucune affaire, ou pratiquement
aucune, n’ait été élucidée... De là
à ce que la population ne se sente pas protégée, reconnaissez
que ce sentiment est logique…