M. le Président : Monsieur le préfet, j’ai quelques questions très précises, à vous poser. Vous avez vécu l’épisode de Tralonca.
M. André VIAU : Oui.
M. le Président : Cette commune est située en Haute-Corse ?
M. André VIAU : Tout à fait.
M. le Président : Vous en aviez donc, d’une certaine manière, la responsabilité. Pouvez-vous confirmer ou non l’existence de négociations entre les mouvements nationalistes et le ministère de l’Intérieur ?
M. André VIAU : Non, je ne le confirme absolument pas. Je n’en avais aucune information.
M. le Président : Aucune. Et il ne vous est pas apparu curieux, pour ne pas dire plus, qu’entre les revendications posées par les mouvements nationalistes lors de la conférence de presse de Tralonca et les réponses ministérielles apportées le lendemain, il y ait eu une convergence ?
M. André VIAU : Oui, bien sûr, je me suis posé la question. Mais il faut bien se remémorer le contexte de l’époque.
Tout d’abord, nous sortions d’une période où les attentats avaient été extrêmement nombreux. Pour ceux qui s’en souviennent, le dernier semestre de l’année 1995 avait été marqué par une recrudescence d’attentats contre des bâtiments publics, qui
créait une forte tension.
Ensuite, il faut avoir à l’esprit que les conférences de presse clandestines étaient à l’époque relativement fréquentes – je ne me souviens pas du nombre exact, mais je pense qu’il y en avait eu deux ou trois durant ce semestre – et n’avaient que très peu
d’écho. Elles étaient relativement banalisées et l’on sentait de la part des journalistes qui s’y rendaient, c’étaient presque toujours des journalistes locaux, une certaine lassitude.
Enfin, la conférence de Tralonca a été une surprise extraordinaire par l’ampleur des moyens rassemblés. Aujourd’hui, on parle de la « conférence de presse de Tralonca », mais lorsque nous avons appris qu’elle devait avoir lieu, nous ne la situions
pas évidemment…
M. le Président : Quand l’avez appris ?
M. André VIAU : Le matin même de l’arrivée du ministre.
M. le Président : Le matin même de l’arrivée du ministre ?
M. André VIAU : Ah, oui, tout à fait ! Elle a eu lieu dans la nuit.
M. le Président : Donc vous n’étiez pas au courant des instructions données à la gendarmerie de ne rien faire pour contrecarrer cette conférence de presse qui se tenait dans le maquis, instructions données par le préfet adjoint pour la sécurité à M. Maurice Lallement, commandant la légion de gendarmerie de Corse ?
M. André VIAU : Non, bien sûr que non.
M. le Président : Si vous nous dites que vous n’étiez pas au courant, nous n’avons pas de raisons, a priori, de ne pas vous croire. Cela paraît curieux tout de même, je ne vous le cache pas, d’autant plus, monsieur Viau, qu’après quelques mois passés en Corse, vous avez rejoint directement le cabinet de M. Jean-Louis Debré au ministère de l’Intérieur… MM. Franck DHERSIN, Renaud DONNEDIEU de VABRES, Yves FROMION : Oh, non !
M. le Président : Mes chers collègues, je pose les questions que je veux, sous la forme qui me plaît et je n’ai pas de commentaires à recevoir. Je demande simplement à M. Viau s’il affirme clairement – sous la foi du serment – qu’il n’était pas au courant de la conférence de Tralonca.
M. André VIAU : Absolument. Si votre question, monsieur le Président, est de savoir si j’étais informé avant de l’organisation de cette conférence de presse, la veille, par exemple, je vous réponds que non. Bien sûr que non.
M. le Président : Et vous n’étiez pas informé ni avant, ni pendant, ni après de négociations qui auraient pu avoir lieu entre le ministère de l’Intérieur et certains mouvements nationalistes ?
M. André VIAU : Je vais être plus précis.
Je poursuis tout d’abord ce que je voulais dire sur Tralonca. J’ai été informé le matin même – je ne saurais pas dire exactement à quelle heure – de la tenue de cette conférence de presse. Nous n’en avons d’ailleurs mesuré l’ampleur que progressivement et, si mes souvenirs sont exacts, nous avons dû attendre quelques heures – peut être même 24 heures – pour la situer exactement sur la carte. Le village de Tralonca est près de Corte.
Il y a un certain nombre de communes en Haute-Corse que je ne connaissais pas particulièrement ; je crois même n’y avoir jamais mis les pieds. Plus généralement, étais-je informé de l’existence de négociations ? Je le répète, non.
Est-ce que la question se posait dans les esprits ? Evidemment, tous les services concernés se demandaient s’il y avait, comme cela s’était produit, je crois, dans le passé, des négociations. Mais moi-même j’étais bien incapable de répondre par oui ou par
non à cette question.
M. le Président : D’accord.
M. le Rapporteur : Sur ce point, vous avez sans doute lu la déclaration du préfet Jacques Coëffé dans Le Monde, qui a confirmé clairement qu’il n’en avait été pas été informé, mais qu’il avait pu constater que des négociations étaient en cours entre le gouvernement et une partie du mouvement nationaliste, le FLNC-Canal historique. C’est de notoriété publique aujourd’hui. A l’époque, en avez-vous parlé avec lui ? Comment ces négociations étaient-elles ressenties par les principaux responsables de l’administration en Corse ?
M. André VIAU : J’ai eu l’occasion d’évoquer avec Jacques Coëffé la possibilité de telles discussions, mais je ne peux que répéter ce que j’ai dit : je n’en ai eu aucune information. Cela restait vraiment au stade de nos discussions entre préfets. Quant à mes états d’âme…
M. le Rapporteur : Les vôtres, mais surtout ceux des responsables de la police, des renseignements généraux et de la gendarmerie. Il ne s’agit pas de mettre qui que ce soit en accusation, mais de savoir comment était ressentie cette pratique gouvernementale, qui, par ailleurs, n’était pas l’apanage de Jean-Louis Debré. Cela avait manifestement commencé bien avant. Quelles étaient les réactions que vous pouviez recueillir dans votre entourage immédiat ?
M. André VIAU : J’étais à Bastia, donc ni à Ajaccio ni à Paris. Je ne me souviens pas avoir évoqué cette question avec un chef de service de la police. Du reste, si j’avais eu des doutes sérieux ou des états d’âme moi-même, je n’aurais pas choisi comme confidents des chefs de services qui, au moins pour ce qui concerne les renseignements généraux et la police judiciaire, étaient des chefs de services régionaux. Je pense qu’il existait au sein des services de police et en général de
l’administration en Corse une très grande lassitude. Les gens évoquaient toutes les hypothèses, dont celle-ci. Mais de là à pouvoir établir une distinction nette entre telle ou telle période et pouvoir dire qu’à ce moment-ci, on discutait et qu’à tel autre, on ne discutait pas, je crois qu’ils n’en étaient pas capables. Pas plus que moi.
Pour être plus précis, je n’avais pas d’informations sur de telles discussions, si elles ont eu lieu. Par contre, je pensais et je pense toujours qu’il y avait entre des Corses résidant sur l’île et des correspondants, Corses ou non, de tel ou tel ministère, notamment de celui de l’Intérieur, des relations professionnelles, amicales, des relations de village et de parenté, qui expliquaient que des informations pouvaient s’échanger. Mais je n’assimile pas cela à des négociations.
M. le Président : Mais lorsque le lendemain de Tralonca, vous apprenez – car il semble assez invraisemblable que vous n’en soyez pas informé puisque cela se passe sur le territoire dont vous avez la responsabilité – que les services de gendarmerie ont identifié une partie sans doute importante des participants à la conférence de presse, notamment des véhicules automobiles – c’est la gendarmerie qui l’affirme et le général Lallement nous l’a confirmé – que faites-vous de cette information ?
M. André VIAU :Je vous ai indiqué que je n’étais pas informé la veille ou dans les jours qui précédaient. Je ne vous ai pas dit que je ne l’étais pas le matin même, je crois même vous avoir dit le contraire. J’ai tout de suite été très interrogatif sur cette affaire.
Il nous a fallu déterminer le lieu, situer cette commune « dont j’avais la responsabilité », qui se trouvait dans l’arrondissement de Corte, donc dans le département de la Haute-Corse. Puis, les gendarmes nous ont indiqué avoir relevé un certain nombre de
numéros d’immatriculation. Je me souviens très bien lors de ces réunions de police avoir interrogé les gendarmes pour savoir ce qu’ils avaient fait de ces informations. Ils ont poursuivi leurs investigations, jusqu’à un certain point, l’identification des propriétaires des véhicules ; de mémoire, il y avait un certain nombre de véhicules de location. Et nous ne sommes pas allés beaucoup plus loin, mais on aborde là un domaine qui ne relevait plus de notre compétence.
M. le Président : Vous ne savez pas pourquoi on n’est pas allé beaucoup plus loin ?
M. André VIAU : Non, je ne le sais pas. C’était un dossier qui n’était plus de ma compétence puisqu’il devenait alors une affaire judiciaire.
M. le Président : Oui.
M. André VIAU : Pour ma part, j’aurais souhaité que nous allions plus loin. De nombreuses rumeurs ont circulé. En Corse, comme partout, il faut faire la distinction entre une rumeur présentée comme une évidence par tous les interlocuteurs et une preuve judiciaire. On prétendait qu’il y avait à Tralonca beaucoup d’élèves de l’école d’infirmières d’Ajaccio ; peut-être, mais tant que ce n’est pas prouvé !
M. Christian PAUL : Monsieur le préfet, ce que vous dites me paraît très intéressant pour notre commission au regard du pilotage des services de sécurité en Corse, qui est l’un de nos centres d’intérêt. Si je comprends bien votre témoignage, vous n’étiez pas informé de la tenue de cette conférence de presse avant qu’elle se tienne, pas plus que des instructions qui
avaient été données notamment aux services de gendarmerie, peut-être à d’autres, de ne pas bouger, de ne pas localiser cette conférence de presse et encore moins de s’interposer ?
La commission sait de façon quasi certaine que le préfet adjoint pour la sécurité avait donné ces instructions au commandant de la légion de gendarmerie. Cela signifie donc que le pilotage de la force publique, notamment de la gendarmerie, au moins
dans la période où vous étiez en poste en Haute-Corse, échappait totalement au préfet de département. A quelques heures de la venue du ministre de l’Intérieur en Corse, vous n’aviez pas connaissance d’un événement de cette nature, pas plus que d’instructions qui consistaient à brider l’action de la gendarmerie.
Si tel est le cas – et je pense que votre témoignage sous serment ne peut pas être mis en doute – c’est un aspect du mode de fonctionnement, peut-être devrais-je dire un dysfonctionnement, qui me paraît majeur.
M. André VIAU : Vous me posez une question, mais la manière dont elle est formulée appelle un commentaire de ma part. Vous dites que le pilotage de la force publique m’« échappait totalement ». Je ne le pense pas. Dans le domaine qui était le mien, celui de la police administrative qu’il faut distinguer de la police judiciaire – et la préparation d’un voyage ministériel ressortit évidemment à la police administrative, préventive en quelque sorte – je ne pense pas que le pilotage des services de gendarmerie et de police m’ait « échappé totalement ».
Je crois pouvoir affirmer que le déplacement de Jean-Louis Debré a été préparé en veillant tout particulièrement aux problèmes de sécurité. Il me semble m’être rendu à Paris à une ou deux reprises pour préparer ce déplacement. Nous avons fait venir des moyens spéciaux et s’agissant de la mission qui m’était impartie d’assurer la sécurité de ce déplacement, je n’ai pas du tout l’impression que les services « m’aient échappé ». Au contraire, ils ont rempli la mission qui était la leur.
Maintenant, si des instructions particulières ont été données à la gendarmerie, je dois reconnaître qu’elles m’ont échappé. Elles m’ont échappé, mais si j’avais reçu de telles instructions, je pense que j’aurais demandé à l’autorité politique quelle était leur signification.
M. le Président : Nous n’allons pas épiloguer, mais replaçons-nous dans le contexte. Vous êtes chargé de l’organisation d’un voyage ministériel dans le département dont vous êtes le préfet. La veille de ce déplacement se produit un événement majeur, même s’il faut relativiser tout cela : 300 ou 600 personnes armées, n’ergotons pas, se réunissent dans le maquis. Quand on sait quelles précautions sont prises lors de chaque déplacement ministériel sur le territoire de la République en général et en Corse en particulier, on est quand même assez surpris que le préfet chargé de l’organisation de ce déplacement ne soit
pas informé de cet événement majeur et ne soit même pas au courant des instructions données par le corps préfectoral corse au commandant de la légion de gendarmerie, de rester calme ce soir-là, de ne pas faire de vagues et surtout de ne pas interpeller les gens qui se rendaient à Tralonca.
Cela paraît tellement invraisemblable ! Comme mon collègue Christian Paul, je n’ai pas de raison de douter de la sincérité de vos propos puisqu’ils sont faits sous serment. Cela paraît tellement invraisemblable que, si c’est le cas, c’est effectivement un
dysfonctionnement grave. Imaginez que cette conférence ait tourné autrement ! On ne maîtrise pas 300 personnes « larguées » dans la nature, avec des armes lourdes et des fusils. Tralonca a été une conférence de presse de plus mais cette réunion aurait pu devenir autre chose, et vous, qui étiez chargé de la sécurité du ministre venant le lendemain, vous n’étiez pas au courant. Cela paraît tellement énorme que nous avons du mal à le croire. Mes propos sont un peu vifs, monsieur Viau, mais comprenez moi ! Je précise en outre que ce n’est pas une injure de rappeler que vous avez été ensuite membre du cabinet de M. Jean-Louis Debré. Ce n’est pas une injure, c’est même très honorable pour vous. Je ne donne aucune connotation politique à cette remarque.
M. Franck DHERSIN : Il ne faut pas lier les deux !
M. le Président : Je ne lie pas les deux, mais je dis que M. Viau a peut-être plus de raisons que d’autres d’avoir…
M. Franck DHERSIN : S’il y avait été avant, d’accord, mais il y a été après avoir exercé ses fonctions en Corse.
M. le Président : D’accord, mais on l’a choisi après, sans doute pour ce qu’il était avant.
M. André VIAU : Si j’avais été informé, j’aurais eu les même réactions que vous. Je me serais demandé comment l’on pouvait laisser s’organiser un rassemblement d’hommes et de femmes si lourdement armés, non pas la veille, mais la nuit précédant le déplacement du ministre. J’aurais certainement été inquiet et j’aurais cherché à prévenir la chose car je ne vois pas comment j’aurais pu passer la nuit tranquillement avec cette incertitude.  J’aurais pris des mesures, ne serait-ce que pour assurer la sécurité du ministre. Je ne sais pas ce que vous a dit le général Lallement. Je ne sais pas si vous avez entendu Antoine Guerrier de Dumast ou si vous allez l’entendre. Je ne sais donc pas si l’on a dit au général qu’il y aurait une conférence de presse à Tralonca. Si on l’a seulement informé de la tenue d’une conférence de presse, cela n’est d’aucune utilité
pratique en Corse. La Corse est très vaste, son relief extrêmement montagneux et les conférences de presse, comme je vous l’ai dit, ont été nombreuses. Il me semble me souvenir que l’on m’a annoncé une fois qu’une conférence de presse aurait lieu la nuit suivante, mais que voulez-vous faire d’une telle information ? Strictement rien ; la Corse est trop grande. Voyez les difficultés que l’on a à retrouver l’assassin présumé de Claude Erignac alors même que l’on pense qu’il se trouve dans un secteur géographique précis de l’île.
Quelqu’un savait-il que cela devait se passer à Tralonca ? Pour ma part, j’ignorais ce projet de conférence de presse, a fortiori que cela pouvait se passer à Tralonca, dans le département dont j’avais la responsabilité.
M. Franck DHERSIN : Lorsque la commission d’enquête s’est rendue à Ajaccio, les policiers et gendarmes que nous avons rencontrés nous ont expliqué leur difficulté de suivre des gens dans le maquis corse dans la mesure où ils se faisaient repérer très facilement. J’avais alors demandé qui, parmi les fonctionnaires présents, était déjà en poste au moment de l’affaire de Tralonca. Quatre fonctionnaires, dont le patron des renseignements généraux, avaient levé le doigt. Lorsque je leur ai demandé s’ils avaient eu connaissance de cette conférence de presse, ils ont tous affirmé, dont le patron des
renseignements généraux qui aurait pourtant dû donner les informations en sa possession à M. le préfet, ne pas avoir été mis au courant.
Dès lors, je m’étonne de votre étonnement, monsieur le Président, quant à la réponse que vient de vous faire monsieur le préfet puisque cette réponse vous était déjà connue !
M. André VIAU : Si l’on prévient le préfet de Haute-Corse qu’une conférence de presse réunissant 600 personnes aura lieu le soir en Corse…
M. Yves FROMION : Il y en a eu une récemment moins importante.
M. André VIAU : Moins importante.
M. Yves FROMION : Il est vrai.
M. André VIAU : … Et si on lui demande de la localiser alors qu’il est 18 heures et qu’elle doit se tenir à 23 heures, je ne suis pas sûr qu’il y parvienne. Vous êtes allés en Corse. Je m’y suis pour ma part beaucoup promené, je puis vous assurer que l’exercice sera extrêmement difficile.
En revanche, si l’on dit à ce même préfet qu’une conférence doit avoir lieu à Tralonca, rien n’est plus facile. Nous avons nous-mêmes connu une manifestation nationaliste non autorisée à Tralonca. Des observations lointaines ont pu être faites sans
difficultés. Mais autrement, ce n’est pas possible.
M. le Président : Chacun s’accorde à reconnaître que la couverture de la Corse en forces de sécurité est très largement supérieure à celle dont nous disposons en général sur le continent.
Sans doute est-il difficile de localiser une conférence qui se tient dans la montagne la nuit, mais le problème n’est pas là ; il réside bien plus dans l’existence de négociations, dans l’organisation d’une conférence de presse destinée à poser des
questions auxquelles une réponse ministérielle sera apportée le lendemain. C’est le mécanisme qui est en cause, ce n’est pas votre rôle ; d’ailleurs l’organisation des forces de sécurité relève du préfet adjoint, dont c’est la mission.
M. André VIAU : Ma mission était aussi d’assurer la sécurité, particulièrement pendant un voyage ministériel.
Pendant que j’étais en Corse, un grand nombre de brigades de gendarmerie ont été mitraillées. Comme vous le savez, les familles des gendarmes résident généralement sur place et ceux-ci sont donc extrêmement inquiets lorsque éclatent des
actions de ce genre. Ils étaient donc parfaitement mobilisés pour se défendre contre de tels mitraillages et pour en rechercher les auteurs, d’autant qu’en l’occurrence, ils n’avaient pas à rechercher le lieu puisqu’ils y vivaient.
Combien a-t-on arrêté de mitrailleurs ? Je crois bien que l’on n’en a arrêté aucun, quelles que soient les embuscades tendues et les précautions prises. Il faut donc mesurer à leur juste valeur les difficultés du maintien de l’ordre public en Corse.
Si quelqu’un vous a dit avoir été informé d’une conférence de presse et avoir reçu l’ordre de ne pas l’empêcher, cela n’a guère de signification, parce que n’étant informé que de la tenue d’une conférence de presse sans autre précision, il était impossible
de l’empêcher. En revanche, si l’on vous a dit que l’on savait qu’il y aurait une conférence de presse à Tralonca et que l’on a donné l’ordre de ne pas l’empêcher, cela peut être vrai, c’est une information qui a une véritable signification en matière politique.
M. le Président : La réponse que l’on nous a faite correspond à la deuxième hypothèse
que vous venez d’évoquer.
M. Yves FROMION : Monsieur le Président, le général Lallement n’a pas dit savoir que la conférence de presse était à Tralonca. Monsieur le préfet vient de dire que quand on ne connaît pas la localisation, on a du mal…
M. le Président : Peu importait le lieu puisqu’il s’agissait de ne pas l’empêcher !
M. André VIAU : Je redis les choses clairement, si vous me le permettez : si l’on me dit qu’il va y avoir une conférence de presse ce soir et que je suis coupable de ne pas l’empêcher, je réponds qu’en Corse, une information de cette nature n’a aucune signification parce que personne, sauf fait du hasard, n’est en mesure de l’empêcher.
Très différente est la situation lorsqu’on vous dit qu’il va y avoir une conférence de presse à Tralonca et que l’on vous demande de ne pas l’empêcher. J’aimerais être sûr que quelqu’un a reçu une information et une instruction de ce genre.
M. le Président : Monsieur le préfet, cela me paraît tellement évident. Vous avez dit qu’il était très difficile de localiser une conférence de presse annoncée. Or, vous avez dit vous-même que le lendemain de cette conférence de presse, les services de gendarmerie détenaient les numéros d’immatriculation de véhicules, souvent de location, utilisés pour se rendre à cette conférence de presse.
Si l’on réussit à identifier les véhicules, compte tenu des spécificités géographiques que vous avez vous-même soulignées, cela veut dire que l’on sait où se tient la conférence de presse mais que, comme on a reçu des instructions pour rester calme, on
n’a rien fait pour l’empêcher.
M. Franck DHERSIN : Pas forcément !
M. André VIAU : La Corse a un relief extrêmement morcelé, que peu de voies de communication traversent. Pour rassembler 600 personnes, il faut faire venir des gens d’Ajaccio, de Bastia et d’ailleurs ; or, il n’y a que très peu d’axes routiers. Les services de gendarmerie peuvent parfaitement relever un passage important de véhicules sur telle ou telle route sans savoir pour autant que la conférence de presse aura lieu à Tralonca. De plus, peut-être ont-ils joué une comédie très bien montée, mais je ne vois pas pour quelle raison ils auraient cherché pendant vingt-quatre heures à localiser la conférence de presse,
avant de dire qu’elle s’était déroulée à Tralonca.
M. le Président : Nous vous remercions.
 
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