M. le Président
: Etiez-vous ici au moment de l’affaire de Tralonca ?
Adjudant-chef Jean-Paul
TRAMONI : Oui.
M. le Président
: Vous avez entendu parler de l’ordre donné ce soir-là
à la gendarmerie d’être calme, discrète ?
Adjudant-chef Jean-Paul
TRAMONI : Non, je ne l’ai pas perçu ainsi. Nous avions reçu,
quelques jours avant, un message – j’ignore s’il se trouve dans les archives…
M. le Président
: Sans doute !
Adjudant-chef Jean-Paul
TRAMONI : … indiquant qu’il fallait vérifier tout mouvement
de véhicules et tout ce qui pouvait s’assimiler à un rassemblement.
Chaque fois que quelque chose est pressenti par les renseignements généraux,
on nous demande de faire ce genre d’observation, de noter un passage plus
particulier que d’autres, comme lorsqu’il y a un match à Furiani,
le samedi soir, ce qui est assez fréquent. Mais le lieu n’était
pas défini. Des rassemblements clandestins se sont produits dans
différentes régions. Il est apparu que certains journalistes
et même certains officiers de police avaient le discours clandestin
avant qu’il ne soit prononcé mais cela n’est plus de mon niveau.
M. le Président
: Vous savez tout de même qu’un certain nombre de renseignements
obtenus par la gendarmerie, notamment quant à l’identification des
personnes qui avaient participé à la conférence de
presse de Tralonca, n’ont jamais été exploités puisqu’il
n’y a pas eu de suites judiciaires.
Adjudant-chef Jean-Paul
TRAMONI : Cela ne m’étonne pas, puisque tous les précédents
rassemblements qui ont fait l’objet de comptes rendus dans la presse n’ont
pas fait l’objet de procédures non plus.
M. le Président
: Il y a tout de même une différence de niveau entre trois
membres d’Armata Corsa qui se retrouvent dans le maquis pour faire une
déclaration et une conférence réunissant trois cents
à six cents personnes avec des bazookas, des mitraillettes, des
armes lourdes.
Adjudant-chef Jean-Paul
TRAMONI : Il y avait déjà eu des rassemblements…
M. le Président
: Aussi importants ?
Adjudant-chef Jean-Paul
TRAMONI : … avec des bazookas et un armement impressionnant. Donc,
cela ne m’étonne pas. La gendarmerie avait fait son travail quelques
années auparavant. Elle avait établi l’organigramme et les
structures du FLNC et d’autres structures nationalistes. Cela avait été
mis en exergue par certains et un chef de corps, colonel commandant la
région de Corse avait fait l’objet d’un rapatriement sur le continent
avec sanctions. Je réponds ainsi à l’étonnement que
vous avez manifesté tout à l’heure.
M. le Rapporteur :
En quelle année ?
Adjudant-chef Jean-Paul
TRAMONI : 1985. Cela remonte entre dix et douze ans.
M. le Président
: Notre commission présente la particularité d’enquêter
sur deux périodes : 1993-1997 et 1997-1999. Vous le savez, en 1997,
est intervenu un léger changement à la suite d’une décision
heureuse du Président de la République. Comme cette commission
d’enquête est, de surcroît, composée à la proportionnelle
des groupes parlementaires composant l’Assemblée nationale, nous
nous amusons de temps en temps. Nous voudrions cerner les tenants et les
aboutissants de l’affaire de Tralonca, ce qui est déjà fait
en grande partie, comme nous cernerons les tenants et les aboutissants
de l’affaire de la paillote. Le rôle de la gendarmerie n’est d’ailleurs
pas le même dans l’un et l’autre cas. A Tralonca, vous aviez en grande
partie identifié les participants au rassemblement. Nous avons des
témoignages d’autorités de la gendarmerie qui nous ont confirmé
avoir reçu l’ordre sur le plan politique de ne pas intervenir, c’est-à-dire
non pas de ne pas faire d’investigations mais d’être calme, de ne
pas faire de vagues.
Adjudant-chef Jean-Paul
TRAMONI : La formule exacte était : « Ne pas rompre la
trêve ». C’est net.
M. le Président
: Lieutenant-colonel, il y a une légère nuance dans le
propos. Ne pas rompre la trêve équivaut à laisser faire…
Adjudant-chef Jean-Paul
TRAMONI : Non.
M. le Président
: A supposer que vous ayez connu le lieu du rassemblement, ce que personnellement
je crois, parce que je doute qu’en Corse, à cette période-là,
en dehors de la période estivale, on rassemble quatre cents à
six cents personnes sans que cela se remarque…
M. Roger FRANZONI :
Surtout à Tralonca !
M. le Président
: … la mission, l’ordre qui vous avait été donné
était de ne pas intervenir.
Adjudant-chef Jean-Paul
TRAMONI : Non, ce n’était pas cela. Vous orientez le point de
vue. (sourires)
La mission du gendarme sur
le terrain, c’est de noter les véhicules et de rendre compte. Nous
sommes des militaires. Nous aurions dit : « Nous constatons telle
situation ». Nous n’avons pas l’initiative, à ce niveau-là,
avec cette affluence, avec le nombre de véhicules et censément
avec le peu d’effectifs. En tant que militaires, nous n’allons pas monter
à l’assaut avec trois fantassins pour dire que nous sommes intervenus.
C’est le raisonnement militaire. Lorsque je pars avec un gendarme, je veux
rentrer avec lui. La mission définie n’était pas de ne pas
intervenir. Pour autant que je m’en souvienne, elle était définie
ainsi : il va y avoir un rassemblement, il faut noter tout fait particulier,
tout déplacement anormal de véhicules et rendre compte. En
tant que commandant de brigade, j’envoie deux gendarmes qui appellent le
planton. Le planton me rend compte. Je rends compte à mon commandant
de compagnie qui fait de même. A chaque niveau, des gens évaluent
les risques, le rapport de forces et qui décident de l’intervention.
S’ils n’ont pas les moyens d’intervenir, n’importe quel chef militaire
ne mettra pas en danger ses troupes et sa situation.
M. le Président
: Ayant la responsabilité d’examiner comment les choses se sont
passées, je dis simplement qu’après le compte rendu que vous
auriez fait si vous aviez été informé d’un passage
de véhicules permettant d’imaginer qu’un rassemblement avait lieu
à Tralonca, vous auriez attendu l’ordre longtemps parce qu’il n’aurait
pas été donné, tout simplement parce que la mission
était de ne rien faire. Je vous donne cette information qui provient
de vos autorités hiérarchiques.
M. Didier QUENTIN :
On peut se poser la question des effectifs qui auraient été
nécessaires pour neutraliser un groupe de ce genre.
M. le Président
:
Il nous a été dit que l’ordre avait été donné
par le préfet adjoint pour la sécurité au général
Lallement, qui ne l’a peut-être pas transmis aux brigades. Il a intégré
dans sa démarche le fait qu’on lui avait dit qu’il fallait rester
calme. Des comptes rendus lui ont été fournis, puisqu’il
apparaît qu’entre dix-huit et dix-neuf heures, lorsque cet ordre
a été donné, un certain nombre de renseignements faisant
état de mouvements de véhicules commençaient à
remonter des brigades. Il n’y a pas eu d’ordre donné, de sorte qu’il
ne s’est rien passé. On avait recueilli les renseignements mais
comme il fallait s’arrêter là, on n’a rien fait.
Adjudant-chef Jean-Paul
TRAMONI : « Ne pas rompre la trêve », cela part de
1990.
M. le Président
:
Oui, bien sûr. Il ne s’agit pas de montrer quelqu’un du doigt.
Si je vous ai dit que la commission avait vocation à s’intéresser
à deux périodes, qui sont deux périodes politiques
différentes, c’est parce que, dans cette affaire, tout le monde
porte une responsabilité. Elle est liée au laxisme dont on
a fait preuve. Je pense qu’il faut faire preuve de fermeté, non
pas en apparaissant chaque semaine dans Paris-Match, mais en faisant preuve
de continuité dans l’action que l’on mène. Si un jour on
dit blanc et si le lendemain on dit noir, on décourage les bonnes
volontés. Vous le dites vous-mêmes, à quoi bon agir
si on vous demande ensuite de tout arrêter.
Adjudant-chef Jean-Paul
TRAMONI : Nous faisons notre travail, nous constituons un dossier,
nous constituons une procédure, mais après…
M. le Président
: Il est décourageant de connaître des types dont vous
savez qu’ils sont inscrits au fichier du grand banditisme, dont vous savez
qu’ils vivent totalement en dehors de la légalité et de ne
pouvoir rien faire. Vous et vos collaborateurs avez le sentiment qu’ils
jouissent de l’impunité et vous devez vous interroger. Vous verbalisez
le quidam mais vous ne pouvez pas toucher à ceux qui ont un peu
de pouvoir. C’est décourageant.
M. Roger FRANZONI :
Mon cher collègue, jusqu’à présent, on ne maîtrisait
pas la météo. Nous sommes dans une île où le
vent changeait souvent. Aujourd’hui, on maîtrise la météo
et il faut faire en sorte que le vent ne tourne pas.
M. le Président
: Adjudant-chef Tramoni, il nous reste à vous remercier.