Mme Irène STOLLER
: Comme tout le monde, je me souviens très bien de l’affaire
de Tralonca puisque l’on peut dire qu’elle avait impressionné la
France entière et que le simple citoyen avait été
absolument effaré de cette démonstration de force avec des
armes de guerre.
Dans un premier temps, il
y a eu cette enquête de gendarmerie qui a été menée
pour procéder au relevé des plaques minéralogiques
des voitures dans un rayon quand même assez large puisqu’il s’agissait,
je crois, d’un rayon de cinquante kilomètres autour de Tralonca.
Comme je vous l’ai dit,
ce n’est pas la 14ème section du parquet de Paris, qui décide
de se saisir d’une affaire ou de ne pas le faire. Nous nous sommes effectivement
saisis aussitôt de cette conférence de presse, mais nous n’avons
pas eu d’instructions. Or vous savez que le parquet ne travaille qu’avec
des instructions ; moi je ne suis que premier substitut et, même
si je dirige la section antiterroriste, j’ai un procureur qui lui-même
a un procureur général qui lui-même, à l’époque
du moins, recevait ses instructions du garde des sceaux. C’est ainsi que
les choses se passaient...
Par conséquent, même
si l’on avait estimé qu’il fallait ouvrir une information...
M. Robert PANDRAUD : Depuis, le garde des sceaux ne vous donne plus d’instructions ?
Mme Irène STOLLER : Non ! Il semble que ce soit le procureur général qui décide si nous nous saisissons d’une procédure ou non. En revanche, nous donnons des informations au garde des sceaux, par l’intermédiaire, bien sûr, du procureur général et, sur tout ce qui est arrestation, nous rédigeons des rapports pour expliquer...
M. Robert PANDRAUD : Il vaut mieux qu’il soit informé par vous que par les journalistes !
Mme Irène STOLLER
: Oui, mais quelquefois les journalistes sont informés avant
nous : cela arrive assez souvent !
Pour en revenir à Tralonca,
nous n’avons donc pas eu d’instructions pour ouvrir l’information.
Il faut quand même préciser
que nous n’avions jamais ouvert d’informations concernant les conférences
de presse parce que, généralement, cela n’aboutit pas : je
ne connais pas une affaire, que ce soit les conférences de presse
d’Iparretarrak au pays basque ou les conférences de presse corses,
qui ait abouti. Pourquoi ? Parce que vous avez des journalistes qui ne
veulent pas nous donner d’informations ou qui, parfois, ne peuvent pas
le faire parce qu’on les prend, on leur bande les yeux, on les met dans
des camions, des gens eux-mêmes cagoulés les emmènent
à une demi-heure ou à trois quarts d’heure de l’endroit où
ils ont été pris, dans une pièce un peu comme celle-ci...
où les attendent des membres du FLNC....
M. Robert PANDRAUD : Mais eux, ils ont le Beretta dans la poche !
Mme Irène STOLLER
: Voilà exactement comment les choses se passent.
Donc, en règle
générale, nous n’ouvrons jamais d’information sur ce genre
de conférences de presse parce que nous savons qu’elles ne vont
pas aboutir. Néanmoins, nous en avons ouvert une concernant Tralonca
neuf mois après ; pourquoi ? Parce que la presse en parlait tellement
et nous reprochait tellement de ne rien faire que nous avons fini par ouvrir
cette information qui, je vous préviens tout de suite, ne donnera
rien !
M. Jean MICHEL : Sur instruction du procureur général ?
Mme Irène STOLLER : Bien sûr ! De toute façon, tout ce que nous faisons, nous parquet, nous ne le faisons que sur instruction du procureur général. C’est normal : c’est la voie hiérarchique !
M. Robert PANDRAUD : Neuf mois plus tard, c’était du parapluie !
Mme Irène STOLLER : Je ne sais pas parce qu’il n’était pas habituel, je le répète, d’ouvrir des informations concernant les conférences de presse. Pour autant, à la demande de M. Dintilhac nous en avons ouvert deux, sur la dernière conférence d’Armata Corsa et sur celle du FLNC, qui sont tout à fait récentes puisqu’elles datent de fin juin. Pourquoi pas ?
M. le Président : Son passage devant la Commission aura été utile !
Mme Irène STOLLER
: Ah bon, peut-être....
Je ne pense pas que l’ouverture
d’informations soit la panacée : ce que le parquet ne peut pas faire
et que la police ne peut pas faire, je ne crois pas que le juge d’instruction
le fasse...
Je ne veux pas dire que mes
collègues sont moins efficaces que nous mais, eux aussi, obéissent
à des règles de procédure bien précises et
une information n’aboutit que si on peut faire juger quelqu’un. Si on sait
que l’information restera toujours contre X - et c’est ce qui se passera
pour celle-là comme pour les autres - à quoi bon alourdir
les cabinets d’instruction ? Ils sont déjà surchargés
d’affaires pour lesquelles des personnes sont mises en examen, voire détenues,
alors qu’il faut mener les procédures le plus vite possible. En
effet, on ne peut pas garder les détenus trop longtemps, de moins
en moins d’ailleurs, puisque nous avons maintenant une chambre d’accusation
qui ne comprend pas que certaines informations très lourdes, à
cause, d’une part des expertises, d’autre part des commissions rogatoires
internationales, peuvent durer parfois deux ans, ce qui fait qu’au bout
d’un certain temps, si l’affaire n’est pas terminée, les gens sont
mis dehors. Comme on ne veut pas que des terroristes de haut niveau soient
relâchés, on accélère un peu le mouvement, au
détriment, je dois le dire, de certaines procédures.
J’ignore pourquoi, mais dans
l’esprit des médias comme du citoyen ordinaire, si une information
a été ouverte, cela signifie qu’on a fait quelque chose,
dans le cas contraire, on pense que le parquet n’a rien fait. Eh bien,
non, ce n’est pas ainsi que les choses se passent : le parquet travaille,
le parquet suit les enquêtes mais il considère parfois que
les juges d’instruction ne feront rien de mieux que lui - et les juges
d’instruction sont d’ailleurs, lorsque nous les consultons sur l’opportunité
d’ouvrir une instruction, les premiers à nous répondre :
« qu’est-ce que vous voulez que l’on fasse de plus que vous ? ».
Tel était donc le contexte
de Tralonca et voilà ce que, judiciairement, je peux vous en dire
!
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