M. le Président
: A l’époque de Tralonca, vous étiez en Corse ? Général
de brigade Maurice LALLEMENT : Oui.
M. le Président
: Quelles informations aviez-vous sur cette affaire ?
Général de
brigade Maurice LALLEMENT : Les informations, je les ai eues par le
préfet Guerrier de Dumast, le soir vers 19 heures. Il m’a dit :
« Ce soir, il faudra rester calme ». Il a ajouté : «
Vous connaissez la formule : pas de sang dans le maquis ». J’ai compris
qu’il y aurait quelque chose la nuit suivante. Je savais qu’il y avait
la visite de M. Debré, mais nous n’avons pas perçu le lien
entre Tralonca et cette visite, que ce soit bien clair. Nous n’avions aucune
information là-dessus. Nous n’avons eu aucune information par quiconque,
sinon par le préfet Guerrier de Dumast, pour ce qui me concerne,
ainsi que pour le colonel Delpont qui commandait la Haute-Corse. Le colonel
Lunet qui commandait la Corse-du-Sud a été informé
par le préfet Coëffé.
M. le Président
: C’est donc le préfet Coëffé qui vous a dit…
Général de
brigade Maurice LALLEMENT : Non, le préfet Guerrier de Dumast,
préfet adjoint pour la sécurité.
M. le Rapporteur :
C’était un jour avant.
Général de
brigade Maurice LALLEMENT : La veille, vers dix-huit ou dix-neuf heures.
M. le Président
: La gendarmerie de terrain n’avait aucune information à ce
sujet ?
Général de
brigade Maurice LALLEMENT : Aucune information.
M. Robert PANDRAUD :
Donc, des instructions faciles à appliquer !
Général de
brigade Maurice LALLEMENT : Faciles, oui, mais j’ai dit au préfet
: « Alors, qu’est-ce qu’on fait ? ».
Il m’a répondu : «
Vous faites vos patrouilles et vos dispositifs de surveillance générale
comme d’habitude ». D’où le relevé des numéros
des véhicules que je confirme. J’ai donné l’ordre au commandant
de groupement de relever les numéros des véhicules, que j’ai
donnés ensuite au procureur général, M. Couturier.
M. Robert PANDRAUD :
Qui, à votre connaissance, n’en a rien fait ?
Général de
brigade Maurice LALLEMENT : Je ne sais pas ce qu’il en a fait.
M. Christian PAUL :
Le travail habituel de cette brigade de gendarmerie, qui n’avait pas été
particulièrement motivée pour prévenir cet événement,
a-t-il néanmoins permis de localiser avec une relative exactitude
le lieu où se tenait cette conférence de presse ?
Général de
brigade Maurice LALLEMENT : Non.
M. Christian PAUL :
Malgré la connaissance d’un certain nombre de mouvements de véhicules
éventuellement convergents ?
Général de
brigade Maurice LALLEMENT : Peut-être connaissez-vous l’île
de Corse…
M. Christian PAUL :
Moins bien que vous, mon général.
Général de
brigade Maurice LALLEMENT : Je connais parfaitement Tralonca puisque
mon épouse est originaire de la région de Saint-Laurent,
dans la Castagniccia. Dans toute la Castagniccia, vous avez nombre de routes,
vous arrivez comme vous voulez, si vous voulez vous rassembler. On a parlé
de 600 personnes, notre évaluation est plutôt de l’ordre de
350, évaluation corroborée sur l’île. Six cents, c’était
le chiffre donné urbi et orbi par FR3 Corse. C’est donc devenu 600
dans le monde entier, mais soyons clairs, nous avons fait des mesures très
précises, il y avait au plus 350 personnes, et dans ces 350, nous
avons su ensuite par des informateurs - des jeunes gendarmes auxiliaires
qui étaient à l’université de Corte - que tous les
jeunes de Corte se vantaient d’avoir fait partie du grand rassemblement
de Tralonca et que l’on comptait dans les rangs nationalistes des infirmières
de l’école de Bastia.
Comme le dit le livre sur
le préfet Erignac, on a informé celui-ci que l’on avait retrouvé
des mégots de cigarettes portant du rouge à lèvres
et il est vrai quand on regarde certaines photos, que certains, des jeunes
femmes probablement, tiennent les
armes comme on porte un bébé.
M. Robert PANDRAUD :
Puisque vous n’y étiez pas, ne vous êtes-vous pas aperçu
de mouvements anticipés de voiture ? Comment ensuite avez-vous pu
faire pour quantifier le nombre de participants ?
Général de
brigade Maurice LALLEMENT : Grâce aux renseignements généraux.
M. Robert PANDRAUD :
Parce que les renseignements généraux y étaient, selon
vous ?
Général de
brigade Maurice LALLEMENT : Je n’ai pas dit qu’ils y étaient.
Les renseignements généraux savaient que cela se trouvait
là.
M. le Président
: Ils n’avaient pas de mal à y être, puisqu’on les avait
informés !
M. Robert PANDRAUD :
C’est un peu un gag tout cela.
Général de
brigade Maurice LALLEMENT : Oui, monsieur le ministre.
M. le Président
: C’est un gag au premier degré mais, au second, pensez-vous
que ce soit particulièrement motivant pour des personnels de gendarmerie
de se voir « balader » sur un dossier particulièrement
sérieux : des armes, des conférences de presse, des cagoulés
dans le maquis…
M. Renaud DONNEDIEU de
VABRES : Ce sont des militaires. Ils n’ont pas le droit de tirer. La
vie militaire n’est pas faite que de choses simples et de réactions
automatiques.
M. le Président
: Certes, mais quand même, cela n’a pas dû être facile
pour les gens des brigades...
Général de
brigade Maurice LALLEMENT : Ce n’est pas simple, monsieur le Président,
mais comme je le disais à mes commandants de brigade que je voyais
souvent, l’essentiel est d’assurer la tranquillité et la paix publique
en Corse et de ne pas causer un trouble plus grand que celui que suscite
la manifestation elle-même. Il y a des équilibres à
trouver par rapport à l’île de Corse, car il y existe des
situations et des comportements qui n’ont rien à voir avec ceux
du continent. Pour avoir été commandant du groupement de
la Savoie, je peux dire que les Savoyards sont différents des Corses
!
M. le Président
: Pour être précis et pour que les choses soient claires,
encore une fois devant une commission d’enquête, sous la foi du serment,
vous avez indiqué que l’on vous avait invité à être
ce soir-là « calme » : votre conviction était-elle
qu’il y avait des négociations entre les mouvements nationalistes
et le gouvernement ?
Général de
brigade Maurice LALLEMENT : A ce moment-là, non.
M. le Président
: A dix-huit heures, peut-être pas, mais quand vous entendez
le lendemain la réponse du berger à la bergère…
Général de
brigade Maurice LALLEMENT : Oui le lendemain, lorsque M. Jean-Louis
Debré nous a donné son discours le 11 janvier au soir et
que nous avons comparé au tract du FLNC, ma cellule de renseignements
m’a dit : « C’est parallèle ». Il n’y avait pas besoin
de faire une longue analyse.
M. Yves FROMION : Lorsque
nous en aurons fini avec Tralonca, je poserai ma question.
M. le Président
: Les déclarations du général Lallement sont suffisantes.
Tout le monde avait la certitude d’une négociation, sauf M. Jean-Louis
Debré.