M. le Président :
C’est un nouveau chiffre. On oscille entre 600 et 150, ce qui prouve quand
même que l’information n’était pas très bonne et pour
nous arrêter un instant sur cette affaire de Tralonca et épuiser
le sujet, si j’ose dire...
M. Robert PANDRAUD :
Ça m’étonnerait...
M. le Président
: ... est-il exact que vous ayez donné des instructions au colonel
commandant le groupement de gendarmerie pour que ses troupes, ce soir-là,
restent calmes ?
M. Antoine GUERRIER de
DUMAST : Il est tout à fait exact que j’ai demandé à
ce colonel commandant le groupement de gendarmerie d’obtenir le maximum
de renseignements mais d’éviter les incidents : personne ne peut
obliger la gendarmerie à contrôler des automobilistes qui
roulent normalement et à fouiller les véhicules.
M. le Président
: Comment étiez-vous informé, parce que cette information
au général Lallement, alors colonel, a été
donnée avant la conférence de presse, aux environs de dix-huit
heures 30, dix-neuf heures, bien entendu ? Par conséquent, sauf
par une prémonition exceptionnelle rencontrée chez un haut
fonctionnaire de l’Etat, comment avez-vous été informé
que cette conférence de presse se tiendrait dans la nuit ?
M. Antoine GUERRIER de
DUMAST : Par le préfet de région et les renseignements
généraux. J’avais eu une réunion avec le préfet
de région qui m’avait dit que le ministre de l’époque - qui
ne s’en est pas caché puisqu’il l’a déclaré lui-même
au journal Le Monde - souhaitait que cette conférence de presse
se déroule sans incidents et j’en reviens au problème d’Aléria
en ajoutant que, juste après mon départ - à peu près
un mois plus tard - un CRS de trente ans, marié et père de
trois enfants à trouvé la mort au cours d’un accrochage avec
des nationalistes. Pour ma part, je voulais à tout prix éviter
ce genre d’affaire qui ne pouvait qu’augmenter la tension ce qui n’était
pas nécessaire.
M. le Président
: On peut sans doute avoir ce genre de souci tout à fait louable,
monsieur le préfet, d’éviter mort d’hommes au cours d’incidents
de ce genre, mais vous pouvez aussi avoir une autre contrainte qui est
celle d’obéir à un ordre qui vous a été donné
! Or, vous saviez qu’il y avait des négociations entre le Gouvernement
et les nationalistes à l’époque...
M. Antoine GUERRIER de
DUMAST : Bien sûr !
M. le Président
: Vous l’avez su puisque les revendications des nationalistes ont reçu
une réponse point par point le lendemain, par le ministre de l’Intérieur
dans un discours public ! Sauf a être complètement idiot,
on comprend bien qu’une réponse point par point n’est pas le fait
du hasard mais le résultat de négociations. On comprend donc
que vous étiez la courroie de transmission d’instructions pour que
les choses se passent « calmement » - c’est, je crois, le terme
que vous avez utilisé, en tout cas c’est celui qui nous a été
rapporté par le général Lallement - c’est-à-dire,
en adoptant un profil bas...
M. Antoine GUERRIER de
DUMAST : Je souscris tout à fait, monsieur le Président,
aux propos du général Lallement qui correspondent parfaitement
à ce que je vous dis moi-même.
Si vous le souhaitez, je pourrais,
avant de répondre aux autres questions, vous dire que, dans tous
mes rapports au Gouvernement, j’ai insisté sur la nécessité
de régler le problème du nationalisme de façon suffisante
pour que l’on évite cette confusion entretenue perpétuellement
et à dessein entre le nationalisme et le grand banditisme. A partir
du moment où le problème du nationalisme serait réglé,
j’estimais que celui du grand banditisme pouvait l’être également
: nous savons agir dans l’opacité de villes particulières
ou de départements particuliers, et dans le sud de la France, des
problèmes se posent que nous savons régler. Toutefois, à
partir du moment où l’on entretient la confusion entre le nationalisme
et le banditisme, les choses deviennent extrêmement difficiles !
Je pense que toutes ces îles
de la Méditerranée, que ce soit la Sardaigne, les Baléares
ou d’autres ont des statuts qui leur sont propres et, personnellement,
j’ai toujours insisté sur le fait que je ne voyais aucun inconvénient
à ce que l’enseignement de la langue corse, de la culture corse,
ou de l’histoire de la Corse soit développé dans cette île
: cela correspond d’ailleurs également à un réflexe
insulaire qui est une des données importantes du problème
corse.
Pour avoir été
en poste également dans le Morbihan, je peux dire qu’à l’île
de Groix, je peux témoigner que les Groisillons vous disent : «
Vous, les continentaux ! ». Il existe donc des différences
entre ceux qui habitent sur une île et ceux qui vivent sur le continent
! Par conséquent, plutôt que de toujours vouloir prétendre
que les départements corses sont des départements comme les
autres, je pensais, ainsi que je l’ai déclaré en commençant
mon exposé, que tel n’était pas le cas et qu’il était
donc préférable de commencer par leur reconnaître une
certaine originalité de manière, ensuite, à pouvoir
faire appliquer la loi et toute la loi comme elle doit l’être sur
l’ensemble du territoire national.
En conclusion, je vous dirai
que je pense que l’avenir est difficile, qu’il y a des problèmes
économiques
et sociologiques qui ne se régleront pas du jour au lendemain, mais
que je conserve, après mon passage en Corse, un certain optimisme
à cause, d’une part de la valeur des hommes que j’y ai rencontrés,
et d’autre part de la qualité de ces deux départements qui
sont superbes !
M. Franck DHERSIN :
Monsieur le préfet, au sujet de la conférence de presse de
Tralonca, quelles étaient les informations qui vous sont parvenues
ce soir-là ? Vous a-t-on dit où se tiendrait la conférence
de presse ou n’étiez-vous pas vraiment fixé puisque certains
nous disaient que la Corse est grande, le maquis étendu et qu’il
est toujours très difficile de savoir où les choses vont
se dérouler ?
Par ailleurs, vous venez
de répondre par l’affirmative sur le fait que des négociations
étaient en cours : en saviez-vous un peu plus à l’époque
et, concernant cette conférence de presse, avez-vous eu, dans la
nuit précédant la visite du ministre, des éléments
ou un compte rendu de ce qui s’y était passé ?
M. Antoine GUERRIER de
DUMAST : Vous me posez là plusieurs questions. Premièrement,
concernant le lieu, nous ne le connaissions absolument pas ! Le FNLC tenait
assez régulièrement des conférences de presse auxquelles
ils emmenaient des journalistes avec en général, un peu de
mise en scène. En effet, on leur bandait les yeux, on les conduisait
dans le maquis et, là, on leur disait ce qu’on voulait leur dire
avant de les ramener en ville pour qu’ils fassent la propagande voulue
sur ce qu’ils avaient entendu !
Nous ignorions donc l’endroit
où aurait lieu la conférence de presse mais nous savions
qu’il devait y en avoir une cette nuit-là. S’agissant du compte
rendu, il m’a été fourni vers cinq heures du matin.
M. Franck DHERSIN :
Vers cinq heures du matin ? C’est intéressant !
M. Yves FROMION : Cela
prouve que les préfets ne dorment pas !
M. Robert PANDRAUD : Je
vais vous poser une question tout à fait indiscrète : vous
êtes resté en poste de juillet 1995 à février
1996 ? Pourquoi aussi peu de temps ? Est-ce vous qui avez demandé
à partir ? Quelle est l’origine de ce délai relativement
court dans l’administration préfectorale ?
M. Antoine GUERRIER de
DUMAST : Je réponds très franchement, monsieur le ministre,
que je n’ai pas demandé à partir et le nouveau préfet
de région, Claude Erignac, m’a confié qu’il aurait beaucoup
souhaité que je continue à travailler avec lui et cela pour
des raisons personnelles : le préfet Erignac avait été
en Meurthe-et-Moselle et connaissait bien ma famille. Je n’ai pas demandé
à partir mais vous savez mieux que quiconque, que dans la préfectorale,
on ne vous demande pas nécessairement votre avis !
M. Robert PANDRAUD :
Non, mais on a parfois des idées !
M. Jean MICHEL : Vous
avez donc été prévenu de la réunion de Tralonca
et vous avez dit aux forces de gendarmerie et de police de mettre - selon
votre
propre expression, je crois - « la pédale douce ». Mais
ces forces ont recueilli des renseignements. En avez-vous fait part au
procureur de la République et quelle suite a-t-elle été
donnée ?
M. Antoine GUERRIER de
DUMAST : Il y a eu des renseignements exploitables, tels que des numéros
minéralogiques qui ont été relevés, mais, a
priori, vous ne pouvez pas reprocher à quelqu’un de rouler sur une
route si vous n’avez pas la preuve de sa destination...
M. Jean MICHEL : Alors,
a quoi bon relever les numéros ?
M. Antoine GUERRIER de
DUMAST : Cela permettait quand même aux services des renseignements
généraux d’avoir des informations.
M. Jean-Michel GATEAUD
: C’était à titre indicatif !
M. Robert PANDRAUD :
Pour compléter la question, je crois que ce n’est pas au préfet
délégué ou au corps préfectoral qu’il faut
demander si les renseignements ont été transmis à
la justice. Il serait intéressant de savoir, en revanche, si les
fonctionnaires des renseignements généraux placés
sous l’autorité d’un commissaire étaient habilités,
auquel cas c’était à eux de les donner directement. L’autorité
préfectorale n’est pas chargée de fournir des renseignements
au procureur, mais les policiers habilités, oui, et c’est une faute
s’ils ne le font pas ! Il faut voir précisément le problème.
M. le Président
: Monsieur le préfet, merci d’avoir répondu à
nos questions.
|