M. Pierre-Etienne BISCH : Oui.
M. le Président :
Il y a eu, manifestement, une négociation entre les mouvements nationalistes
et le ministre de l’Intérieur. En effet, au cours de la visite ministérielle
qui avait lieu le lendemain de cette conférence de presse, le ministre
a répondu aux points évoqués par les nationalistes
la veille.
Vous avez sans doute participé
à des réunions pour préparer ces réponses.
Mais politiquement, il y a bien eu une concertation en vue de rédiger
le discours du ministre ?
M. Pierre-Etienne BISCH
: Le ministre Jean-Louis Debré a indiqué, devant une
commission parlementaire, qu’effectivement ses services s’attendaient à
la tenue d’une conférence de presse de ce type, mais pas à
Tralonca, ni de cette importance. Mais il arrive assez souvent que ce genre
d’information soit connu ; les services de renseignement ont de nombreuses
informations, et l’on ne leur demande pas de passer menottes aux gens dès
qu’ils possèdent ce type de renseignement ! C’est plus compliqué
que cela.
Quant au contenu du
discours, il répondait à un certain nombre de revendications
extrêmement connues et répétitives : ils réclamaient,
par exemple, un statut européen de la Corse, le POSEICOR, la langue
corse, la suppression des départements, etc. Il y avait tout un
cahier de revendications connues. Que le ministre de l’Intérieur
de l’époque ait souhaité boucler une sorte de concertation,
implicite ou explicite, cela me paraît certain ; a-t-elle été
implicite ou explicite, je ne sais pas, je n’y participais pas. J’étais
à l’époque directeur d’administration centrale, j’étais
celui qui savait rédiger des fiches sur les questions de fond que
je suivais depuis trois ans. S’il y a eu des discussions politiques, je
n’étais pas chargé de les mener ; je ne les ai menées
que sous l’autorité de M. Pasqua, et publiquement.
M. le Président : Vous avez cependant pu constater, en tant qu’observateur privilégié, qu’aucune poursuite judiciaire n’a été engagée, malgré l’identification de certains participants par la gendarmerie.
M. Pierre-Etienne BISCH : Cela est incontestable, monsieur le Président. C’est à partir de l’assassinat du préfet Erignac que la politique menée en Corse a véritablement changé.
M. le Président : Pour être précis, il semble que les choses ont vraiment changé à partir de l’attentat de Bordeaux.
M. Pierre-Etienne BISCH : Oui, c’est exact. Mais l’assassinat du préfet est un meurtre symbolique.
M. Roger FRANZONI : Monsieur le Président, savez-vous pourquoi la conférence de presse de Tralonca a réuni autant de monde ? Parce qu’il s’agissait d’une exigence de l’Etat. Ce dernier, ayant négocié avec les nationalistes pour obtenir une trêve, devait prouver à l’opinion publique que son adversaire était puissant – il y avait même des femmes et des enfants ! Ils étaient très nombreux et cela justifiait la trêve qui devait être passée. Vous n’avez pas entendu dire cela ?
M. Pierre-Etienne BISCH : Si.
M. Roger FRANZONI :
On ne m’a donc pas menti. Lorsqu’on discute avec une collectivité
quelle qu’elle soit, se rend-on compte que l’on est dans un Etat démocratique
dans lequel on vote ? En Corse, 80 % des gens sont des républicains,
attachés à la France, or on les néglige totalement
!
Enfin, avez-vous approfondi,
dans vos études, les mouvements des irrédentistes, favorables
au rattachement de la Corse à l’Italie ? Ils sont allés très
loin, puisqu’ils ont dénoncé des résistants corses
qui ont été ensuite exécutés.
M. Pierre-Etienne BISCH : Monsieur le député, je ne me sépare en rien de ce que vous avez dit.
M. le Rapporteur : La conférence de presse de Tralonca a été une opération de communication complètement ratée, non ?
M. Pierre-Etienne BISCH : Oui, je ne sais pas si c’était l’intention mais le résultat est là et de façon magistrale !
M. le Rapporteur : L’intention du Canal historique était d’annoncer une trêve ?
M. Pierre-Etienne BISCH : Oui, mais il fait cela tous les six mois.
M. le Rapporteur : Ce n’était donc pas, pour vous, un moment important pour la réussite de cette politique.
M. Pierre-Etienne BISCH : Cette politique a commencé après l’affaire de Tralonca.
M. le Rapporteur : Mais je parle de la vôtre.
M. Pierre-Etienne BISCH
: M. Pasqua
souhaitait qu’il y ait une continuité dans la politique menée.
Que s’est-il passé ? Le développement de la violence entre
factions rivales entre 1994 et 1996 a vidé de sens la politique
d’aménagement du territoire. En effet, celle-ci ne peut avoir de
sens que si elle est soutenue par un mouvement, une dynamique, une attente.
Or elle n’intéressait plus personne.
Par ailleurs, en Corse, il
n’existe aucune évaluation sur l’emploi des crédits. J’ai
acquis la conviction suivante : ce n’est pas parce que vous allouez plus
de crédits qu’il se passe plus de choses. Il s’agit d’une affaire
non pas financière, mais politique. Si cela était à
refaire, je solliciterais moins de crédits et conseillerais de faire
plus de politique ; plus de police mais plus de politique et peut-être
moins de finances.
S’agissant de Tralonca, je
puis vous assurer que j’en ai été très largement spectateur.
Bien entendu, j’écrivais les argumentaires, mais c’est tout. Une
période d’attente a suivi cette conférence de presse, et
c’est après l’attentat de Bordeaux que le Premier ministre a pris
les choses en mains et affiché ses positions.
M. le Rapporteur : Vous vous sentez désavoué à ce moment-là ?
M. Pierre-Etienne BISCH : Pas du tout. Pensez-vous, monsieur le rapporteur, que l’on puisse être volontaire pour traiter un tel dossier ?
M. le Rapporteur : Vous y avez mis beaucoup de passion, non ?
M. Pierre-Etienne BISCH
: Oui, bien sûr. Mais sachez que lorsqu’un fonctionnaire se présente
au ministre ou au directeur du personnel pour lui dire qu’il souhaiterait
s’occuper de tel ou tel dossier, c’est le premier motif pour ne pas le
lui donner !
Mais quand on vous charge
d’un dossier intéressant et que vous avez la chance d’être
auprès d’un patron charismatique, vous vous prenez de passion. J’y
ai consacré les deux ou trois plus belles années de ma vie
sur le plan professionnel – même si de réels dangers existaient.
Mais j’ai également connu de grandes déceptions personnelles.
Mais qui n’en a pas ?
Pour moi, l’essentiel était
terminé en 1995. Si j’ai encore travaillé six mois sur ce
sujet, le cabinet du Premier ministre prenait, petit à petit le
relais du dossier.
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